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Stéphane Nolhart
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Stéphane Nolhart
28 mars 2006

Les amis de l'écrivain

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Un aboiement me tire su sommeil, chiche, lointain. Vivre à la campagne, à la lisière du bois, presque dans la forêt, vous rapproche des chiens. Comme eux,  je ne dors que d’une oreille. Si vous avez un chien, c’est lui qui veille. Sinon, il faut faire confiance a autrui. A ses amis. A sa jolie femme.

Que fait l’écrivain réveillé pour rien, hormis écrire. Sans papier, sans ordinateur, rien, il écoute juste les mots qui viennent, comme un petit aboiement lointain qui arrive aux bords de ses oreilles. Il les écoute, il les regarde, un par un. Aboiement. Le mot n’est pas beau. Trop de rage, de peur. Alors qu’il y avait jute à coté tellement plus direct, plus fonctionnel, abois, si justement conservé dans l’expression « être aux abois ». 

Oser commencer tranquillement. Un aboi me réveille. Je rêve. Arrête tes conneries et dors ! Connerie est un joli mot. Profond, large, utile. Je me rendors. Ca aboie toujours. Il y en a un autre, puis encore un autre, plus lointain. Des abois arrivent de partout. Je me lève.

J’ai des amis. A paris. Pas à la campagne. Ce ne sont pas des amis de campagne mais des amis de ville. Terrasse de café aux premiers rayons du soleil, lunettes protectrices posées sur le nez et accrochées aux oreilles, vacances à Ibiza, dernier jeans à la mode et visite obligatoire dans tout ce qui vient de s’ouvrir. Ami, c’est un joli mot. Généreux, drôle, pérenne. Les amis aiment ce qu’écrit l’écrivain. Les abois ont cessé. Mes amis n’aiment pas mes conneries. Il a une jolie femme l’écrivain. Une jolie femme de ville, pas de campagne. Une jolie femme à talons hauts. Une jolie femme échassière de ville. Je l’aime, Jolie Simone.  Une jolie Simone urbaine, pas rurale.  Pour l’instant je termine mon prochain roman. Une histoire de mots, d’amis, d’amour, et de meurtre d’écrivain un soir de pleine lune.

Elle est menteuse la jolie femme de l’écrivain. Une vraie pie menteuse. Une pie de ville. Elle lui dit qu’il a du talent. Mais ce n’est pas vrai. Il est pas con l’écrivain. Con, c’est pas un joli mot, c’est un mot de garagiste escroc. Il est pas con, il est juste à la campagne. Je termine mon prochain roman. Avec des joli mots dedans. Une histoire de jolie femme qui aime un écrivain sans talent. Une histoire de mec qui écrit une vie d’écrivain qui a une jolie femme et des amis qui lui trouve aussi du talent. Talent, ce n’est pas un joli mot, ça rime trop avec travail. Les amis  de l’écrivain sont les premiers des menteurs. Pas des menteurs de campagne, juste des menteurs de ville.  Dès que j’ai fini mon roman, je rentre à la ville mentir avec les autres. Les bêtes de la campagne, elles ne mentent pas. Les bêtes des villes non plus. Ca ne ment pas les bêtes. Ca aboie ! Faudrait que je dorme. Et que j’écrive. 

J’ai fini mon roman. Un roman pas bête. Un roman d’hiver à lire dans un fauteuil club, les soirs de grisaille à la ville. Un roman d’été à lire sous un arbre après la sieste, un après midi de soleil à la campagne. C’est un roman de ville et de campagne à la fois. L’écrivain meurt à la fin. Un soir de pleine lune. Il meurt à la ville, pas à la campagne. Tué par sa jolie femme. Un meurtre commandité par mes amis. Ami, c’est pas un joli mot à la fin. Ca veut dire traître. Ennemie, c’est un joli mot, franc du collier. L’écrivain a acheté des lunettes de soleil, mais ne partira pas à Ibiza. Il sera mort avant. Faudrait que je dorme, de toute façon l’écrivain a écrit le mot fin. L’écrivain va dormir. Fin : mort, dormir aussi. Pas joli non plus comme mot. Moche. Finalement, il y a beaucoup de mots moches. De vouloir me tuer, c’est moche aussi. Comme la mort, la trahison, ou aboiement. Parce que je sais qu’ils veulent me tuer. Tous. Mes amis, ma jolie femme, mon éditeur. Ils sont de mèche. Je le sais bien moi. Il n’est pas con l’écrivain mais il n’est pas rancunier non plus. Si ça vous soulage et vous fait plaisir alors je vous fais cadeau de ma vie. Il aime bien faire plaisir, l’écrivain.

Altruiste : Joli mot. Et puis ça fera peut être vendre un peu plus son livre, à l’écrivain. Sa jolie femme sera contente.

Au début, j’ai raconté l’histoire de mon prochain roman à mes amis. Dans la conversation, j’ai rajouté que mon éditeur payait cash et que ma femme était ma légataire universelle. C’est à ce moment-là que ça a commencé. Mais sur le coup, l’écrivain n’a rien vu venir, sinon, y aurait eu des abois, quand on apprend que tout le monde projette de vous faire passer l’âme au dessus du plafond, y a souvent des abois. Légataire universel, je me fous de ce mot, je n’ai pas d’opinion. Ils l’ont trouvé bien le roman de l’écrivain mes amis. Drôle. Original.  Quand l’écrivain sort un livre, mes amis le trouvent toujours bien. Traîtres. Ma jolie femme aussi. Simone aime le papier, celui qui est recyclé de romans en billets. Billet : pas joli non plus. Grossier. Vulgaire. Sa librairie à ma jolie femme, c’est le crédit Lyonnais.

Cette nuit, j’ai dormi sur mes deux oreilles. Oreille c’est un mot double. Deux. Des oreilles. Cette nuit, j’ai dormi sur mes deux oreilles. Je ne devrais pas. C’est dans mon roman. La femme de l’écrivain l’assassine en pleine nuit. "Assassine", quelle force dans ce mot là ! La nuit, je devrais écouter les mots, pour ne pas dormir. Pour rester vivant. Pour l’instant. Le jour se lève. Moi aussi. L’écrivain n’a plus rien à écrire. Difficile de trouver une fin. Le roman est terminé. Il se termine comme ce soir. Pas d’erreur possible. Ces amis viennent dîner pour lui dire qu’il a du talent. C’est une soirée de menteur des villes, de jolie femme vénale et de meurtre d’écrivain sous la pleine lune. Comme dans son roman. Je me suis tué moi-même.

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